James
Wilson Morrice (1865-1924) et John Lyman (1886-1967) sont des figures
emblématiques de l’art moderne canadien. Le carcan de l’art académique, puis la
montée du nationalisme en peinture qui s’incarne dans le Groupe des Sept en
1920, pousse les deux hommes à quitter Montréal pour Paris. La capitale
française est d’ailleurs plus ouverte aux innovations des avant-gardes, ce qui
la rend plus attrayante pour la jeune génération d’artistes canadiens. En
effet, alors que Morrice arrive à Parie en 1890, il y a déjà seize and que
Louis Leroy, dans un commentaire empreint de sarcasme, discrédite le travail de
Claude Monet (1840-1926) en regard d’Impression,
soleil levant (1872).
Claude Monet (1840-1926) Impression, soleil levant 1872 |
Depuis,
l’impressionnisme est reconnu officiellement par l’État français, et son audace
s’est vue remplacée par celle des néo-impressionnistes que sont Georges Seurat
(1859-1891) et Paul Signac (1863-1935), et par celle des postimpressionnistes
comme Paul Cézanne (1839-1906) et Paul Gauguin (1848-1903). Mentionnons que le
fauvisme, le cubisme et l’abstraction bouleversent les principes établis et
engendrent de véritables révolutions successives. En 1913, Lyman présente ses
œuvres à Montréal dans le cadre d’une exposition : celles-ci font scandale
parce que jugées contaminées par l’enseignement d’Henri Matisse (1869-1954). Bien
qu’à l’aube de la Première Guerre mondiale, cette réaction est une preuve
flagrante de l’esprit conventionnel qui habite la communauté artistique
canadienne, marquant du même coup son isolement des grandes tendances de la
modernité.
Ce
sont les parcours croisés de Morrice, Lyman et Matisse que le Musée national
des beaux-arts du Québec (MNBAQ) propose dans sa plus récente exposition qui se terminera
le 7 septembre prochain. Ce projet ambitieux permet d’appréhender le dialogue
que ces peintres ont entretenu au tournant du XXe siècle à travers près de 130
œuvres peintes, la plupart étant issues de collections canadiennes.
Henri Matisse (1869-1954) Femme assise, le dos tourné vers la fenêtre Vers 1922 Source : Google Images |
Henri Matisse (1869-1954) Nu au canapé jaune 1926 Source : Google Images |
Henri Matisse (1869-1954) Portrait au visage rose et bleu 1936-1937 Source : Google Images |
Outre
ces trois œuvres, seuls quatre tableaux signés de la main de Matisse sont
exposés. S’il est évident que Matisse ait influencé Morrice et Lyman, il est
néanmoins dommage que la sélection se résume à ces quelques chefs-d’œuvre,
rendant ainsi parfois difficile une filiation stylistique entre les trois
artistes, surtout pour les néophytes. Il est possible que l’espace limité et la
difficulté d’emprunt des œuvres de Matisse aient joué contre Michèle Grandbois,
la commissaire de l’exposition. Heureusement, pour les plus passionnés, le
catalogue permet de combler cette lacune. Malgré tout, l’exposition est bien
construite, le parcours d’une grande fluidité bien que les nombreux textes
puissent rebuter certains visiteurs qui, du reste, pourront certainement se
contenter d’observer les tableaux qui leurs sont présentés et qui témoignent de
la virtuosité de ses auteurs à capturer la lumière.
William Notman (1826-1891) James Wilson Morrice 1900 Source : Musée McCord |
James
Wilson Morrice est issu d’une bourgeoisie anglo-montréalaise, et quitte sa
ville natale lorsqu’il atteint sa vingt-cinquième année. Homme de peu de mots,
il évite les mondanités parisiennes et laisse peu de trace écrite de la vision
qu’il a de son art. C’est à travers ses œuvres ainsi qu’en lisant les nombreux
articles que l’on publie de son vivant (en 1905, quelques 122 articles à son
sujet paraissent dans les presses française, britannique, belges et
américaines) ainsi que l’ouvrage que John Lyman lui consacre en 1945 que l’on
en apprend davantage sur l’homme et sur l’artiste.
James Wilson Morrice (1865-1924) Blanche Baume et Blanche 1911-1912 |
James Wilson Morrice (1865-1924) Femme au peignoir rouge Vers 1911 |
James Wilson Morrice (1865-1924) L'étang aux Antilles Vers 1920-1922 |
James Wilson Morrice (1865-1924) Olympia Vers 1912 |
Olympia (vers 1912) est une œuvre de moyen format qui
présente une danseuse revêtue d’un costume siamois. Le Siam (ancienne
nomination de la Thaïlande) est, au même titre que la Chine et le Japon, des
pays fascinants de par leur exotisme et leurs traditions si diamétralement
opposées à celles de l’Occident. Il n’est donc pas surprenant que Morrice en
dépeigne les spécificités dans ce portrait en pied.
Danseurs siamois Vers 1890 Source : Google Images |
Malgré
les intentions ethnographiques sous-jacentes à la représentation d’un costume
traditionnel, le titre de l’œuvre ainsi que le visage de la portraiturée nous
indique clairement qu’il s’agit d’une mise en scène. Sa physionomie se
rapproche en effet davantage des Occidentales; le titre fait par ailleurs référence
à un surnom populaire des prostituées de la classe élevée de Paris. Cette
question, qui n’est pas abordée dans le cadre de l’exposition, est pourtant
révélatrice de la société parisienne qui, après près de cinquante ans, est
encore marquée de l’audace d’Édouard Manet (1832-1883). Bien que le lien ne
soit d’hypothétique, il serait intéressant d’en explorer les possibilités, dans
la mesure où Morrice ne devait pas être étranger à l’œuvre de Manet.
Édouard Manet (1832-1883) Olympia 1863 Source : Google Images |
Contrairement
à Morrice, John Lyman s’intègre parfaitement à la société parisienne et exprime
ses convictions artistiques tant en français qu’en anglais dans de nombreux
écrits, qu’ils soient de nature privée, comme sa correspondance avec son père,
ou encore publique.
John Lyman (1886-1967) Autoportrait 1918 |
Lyman,
contrairement à Morrice vivra jusqu’à la fin des années 1960, et l’exposition
présente une évolution stylistique majeure qui s’est opérée tout au long de sa
vie, comme le prouve ces quelques tableaux réalisés entre 1912 et 1962.
John Lyman (1886-1967) À la plage (Saint-Jean-de-Luz) 1929-1930 |
John Lyman (1886-1967) Profil de Corinne 1913-1914 |
John Lyman (1886-1967) Dalesville 1912 |
John Lyman (1886-1967) Le Halage de la barque 1962 |
John Lyman (1886-1967) Bain de soleil II 1960 |
Bref, une
exposition à voir et à revoir jusqu’au 7 septembre au Musée national des
beaux-arts du Québec.
Photographies
personnelles (sauf mention du contraire).
Il est à
noter qu’il est interdit de photographier quelques œuvres de l’exposition,
notamment les Matisse, c’est d’ailleurs pour cette raison que les reproductions
présentées ici proviennent de Google Images. Recherchez les pictogrammes pour vous
assurer de ne pas déroger au règlement.
L’ensemble
des informations concernant l’exposition provient du catalogue publié aux
Éditions de l’homme (ISBN 978-2-7619-4100-6).
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