27 août 2014

Un exil salutaire.

James Wilson Morrice (1865-1924) et John Lyman (1886-1967) sont des figures emblématiques de l’art moderne canadien. Le carcan de l’art académique, puis la montée du nationalisme en peinture qui s’incarne dans le Groupe des Sept en 1920, pousse les deux hommes à quitter Montréal pour Paris. La capitale française est d’ailleurs plus ouverte aux innovations des avant-gardes, ce qui la rend plus attrayante pour la jeune génération d’artistes canadiens. En effet, alors que Morrice arrive à Parie en 1890, il y a déjà seize and que Louis Leroy, dans un commentaire empreint de sarcasme, discrédite le travail de Claude Monet (1840-1926) en regard d’Impression, soleil levant (1872).

Claude Monet (1840-1926)
Impression, soleil levant
1872

Depuis, l’impressionnisme est reconnu officiellement par l’État français, et son audace s’est vue remplacée par celle des néo-impressionnistes que sont Georges Seurat (1859-1891) et Paul Signac (1863-1935), et par celle des postimpressionnistes comme Paul Cézanne (1839-1906) et Paul Gauguin (1848-1903). Mentionnons que le fauvisme, le cubisme et l’abstraction bouleversent les principes établis et engendrent de véritables révolutions successives. En 1913, Lyman présente ses œuvres à Montréal dans le cadre d’une exposition : celles-ci font scandale parce que jugées contaminées par l’enseignement d’Henri Matisse (1869-1954). Bien qu’à l’aube de la Première Guerre mondiale, cette réaction est une preuve flagrante de l’esprit conventionnel qui habite la communauté artistique canadienne, marquant du même coup son isolement des grandes tendances de la modernité.
 
Ce sont les parcours croisés de Morrice, Lyman et Matisse que le Musée national des beaux-arts du Québec  (MNBAQ) propose dans sa plus récente exposition qui se terminera le 7 septembre prochain. Ce projet ambitieux permet d’appréhender le dialogue que ces peintres ont entretenu au tournant du XXe siècle à travers près de 130 œuvres peintes, la plupart étant issues de collections canadiennes.
 
Henri Matisse (1869-1954)
Femme assise, le dos tourné vers la fenêtre
Vers 1922

Source : Google Images

Henri Matisse (1869-1954)
Nu au canapé jaune
1926
Source : Google Images
 
Henri Matisse (1869-1954)
Portrait au visage rose et bleu
1936-1937

Source : Google Images
 
Outre ces trois œuvres, seuls quatre tableaux signés de la main de Matisse sont exposés. S’il est évident que Matisse ait influencé Morrice et Lyman, il est néanmoins dommage que la sélection se résume à ces quelques chefs-d’œuvre, rendant ainsi parfois difficile une filiation stylistique entre les trois artistes, surtout pour les néophytes. Il est possible que l’espace limité et la difficulté d’emprunt des œuvres de Matisse aient joué contre Michèle Grandbois, la commissaire de l’exposition. Heureusement, pour les plus passionnés, le catalogue permet de combler cette lacune. Malgré tout, l’exposition est bien construite, le parcours d’une grande fluidité bien que les nombreux textes puissent rebuter certains visiteurs qui, du reste, pourront certainement se contenter d’observer les tableaux qui leurs sont présentés et qui témoignent de la virtuosité de ses auteurs à capturer la lumière.
 
William Notman (1826-1891)
James Wilson Morrice
1900
Source : Musée McCord
 
James Wilson Morrice est issu d’une bourgeoisie anglo-montréalaise, et quitte sa ville natale lorsqu’il atteint sa vingt-cinquième année. Homme de peu de mots, il évite les mondanités parisiennes et laisse peu de trace écrite de la vision qu’il a de son art. C’est à travers ses œuvres ainsi qu’en lisant les nombreux articles que l’on publie de son vivant (en 1905, quelques 122 articles à son sujet paraissent dans les presses française, britannique, belges et américaines) ainsi que l’ouvrage que John Lyman lui consacre en 1945 que l’on en apprend davantage sur l’homme et sur l’artiste.
 
James Wilson Morrice (1865-1924)
Blanche Baume et Blanche

1911-1912

James Wilson Morrice (1865-1924)
Femme au peignoir rouge
Vers 1911
James Wilson Morrice (1865-1924)
L'étang aux Antilles
Vers 1920-1922



 
James Wilson Morrice (1865-1924)
Olympia
Vers 1912
 
Olympia (vers 1912) est une œuvre de moyen format qui présente une danseuse revêtue d’un costume siamois. Le Siam (ancienne nomination de la Thaïlande) est, au même titre que la Chine et le Japon, des pays fascinants de par leur exotisme et leurs traditions si diamétralement opposées à celles de l’Occident. Il n’est donc pas surprenant que Morrice en dépeigne les spécificités dans ce portrait en pied.
 
Danseurs siamois
Vers 1890
Source : Google Images
 
Malgré les intentions ethnographiques sous-jacentes à la représentation d’un costume traditionnel, le titre de l’œuvre ainsi que le visage de la portraiturée nous indique clairement qu’il s’agit d’une mise en scène. Sa physionomie se rapproche en effet davantage des Occidentales; le titre fait par ailleurs référence à un surnom populaire des prostituées de la classe élevée de Paris. Cette question, qui n’est pas abordée dans le cadre de l’exposition, est pourtant révélatrice de la société parisienne qui, après près de cinquante ans, est encore marquée de l’audace d’Édouard Manet (1832-1883). Bien que le lien ne soit d’hypothétique, il serait intéressant d’en explorer les possibilités, dans la mesure où Morrice ne devait pas être étranger à l’œuvre de Manet.
 
Édouard Manet (1832-1883)
Olympia

1863
Source : Google Images
 
Contrairement à Morrice, John Lyman s’intègre parfaitement à la société parisienne et exprime ses convictions artistiques tant en français qu’en anglais dans de nombreux écrits, qu’ils soient de nature privée, comme sa correspondance avec son père, ou encore publique.
 
John Lyman (1886-1967)
Autoportrait

1918
 
Lyman, contrairement à Morrice vivra jusqu’à la fin des années 1960, et l’exposition présente une évolution stylistique majeure qui s’est opérée tout au long de sa vie, comme le prouve ces quelques tableaux réalisés entre 1912 et 1962.
 
John Lyman (1886-1967)
À la plage (Saint-Jean-de-Luz)
1929-1930

John Lyman (1886-1967)
Profil de Corinne
1913-1914

John Lyman (1886-1967)
Dalesville
1912

John Lyman (1886-1967)
Le Halage de la barque
1962

John Lyman (1886-1967)
Bain de soleil II
1960
 
Bref, une exposition à voir et à revoir jusqu’au 7 septembre au Musée national des beaux-arts du Québec.
 


Photographies personnelles (sauf mention du contraire).
Il est à noter qu’il est interdit de photographier quelques œuvres de l’exposition, notamment les Matisse, c’est d’ailleurs pour cette raison que les reproductions présentées ici proviennent de Google Images. Recherchez les pictogrammes pour vous assurer de ne pas déroger au règlement.
L’ensemble des informations concernant l’exposition provient du catalogue publié aux Éditions de l’homme (ISBN 978-2-7619-4100-6).


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